lundi 25 juillet 2016

Braquage de la Standard Chartered Bank : du rififi à Holland Village


Ce pourrait être une scène tirée des aventures d’Arsène Lupin, le célèbre gentleman cambrioleur, et pourtant il s'agit d'un fait divers singapourien bien haletant puisque nous parlons d'un braquage de banque, réalisé par un étranger, sans arme, sans effusion de sang, et d'une cavale où à la fin la Police attrape le criminel. Que s'est-il passé ce jeudi 7 juillet 2016, retour en image sur une rocambolesque histoire de braquage de banque, classée en moins de 3 jours.


« Ceci est un braquage, j'ai une arme, donnez-moi l'argent, n'appelez pas la police », c'est avec ces instructions écrites sur un morceau de papier que notre gentleman braqueur de banque s'est emparé du magot de la petite agence de la Standard Chartered Bank d'Holland Village, par un jeudi matin ensoleillé. Le butin de SGD 30,000 (soit un peu plus de 20,000€) en poche, notre braqueur sort de la banque à pieds, en direction de Chip Bee Gardens.


Aussitôt, la Singapore Police Force (SPF) se met au travail, et se lance à la poursuite du fugitif. Dans les médias, l'affaire jaillit : un Ang Mo* braque une agence de la Standard Chartered. Première pensée : pourvu qu'il ne soit pas français ! Les réseaux sociaux prennent le relai, et on apprend que le suspect serait vêtu d'un sweet à capuche gris, d'un pantalon jaune moutarde, d'une casquette, et qu'il ressemblerait à un... Australien**. Ouf ! La chasse à l'homme est maintenant lancée.


C'est là que les réseaux sociaux se lâchent par la même occasion : pourquoi n'y avait-il pas de garde ? Comment se fait-il que la guichetière ait cédé à la demande du braqueur, elle est peut-être complice ? Pourquoi a-t-elle donné $30,000, après tout il ne lui a pas dit de montant ? Le CEO de la banque devrait être licencié sur le champ et les banques StanChart fermées ! Mais que fait la police !?


Elle fait son boulot justement, et plutôt de manière intelligente. Alors que l'opinion publique est encore en train de se plaindre du peu de choses communiquées sur l'affaire, la SPF identifie le suspect le jour même, sur les coups de minuit - l'heure du crime. Le suspect aurait quitté le pays dans l’après-midi, vers 16h précisément, pour se rendre à Bangkok. Notre braqueur amateur semble décontracté, et à part sa pilosité prononcée au niveau de l'arcade sourcilière, il n'attire pas l'attention.  Ni une ni deux, la police singapourienne se met en relation avec son homologue thaïlandaise, la Royale Thai Police.


Vendredi au petit matin, le major général Apichart Suriboonya, à la tête d'Interpol, reçoit l'information qu'un suspect en cavale serait présent sur ses terres. La RTP déploie alors tout son attirail technologique, et à l'aide de renforts de différents services, met une centaine de personnes sur l'analyse de bandes de vidéosurveillance des 400 CCTV de la capitale thaïlandaise. Dès le samedi soir, les recherches portent leurs fruits et la RTP localise le suspect dans le quartier de Ratchathewi. Le dimanche 10 juillet, le suspect est appréhendé dans un dortoir de 12 personnes au Boxpackers Hostel, fin de l'histoire pour le gentleman braqueur. Au moment de son arrestation, il aurait demandé d'enter en contact avec l'ambassade canadienne de Bangkok, mais aurait essuyé un refus, celle-ci étant fermée le dimanche.


Après moins de 4 jours d’enquête, la SPF annonce sur sa page Facebook l'arrestation du suspect du braquage de la StanChart, en étroite collaboration avec la RTP. Le soleil revient sur la cite-État, et la fierté d’être Singapourien et de posséder une telle police, rejaillit aussi vite que les critiques à son endroit sont apparues. On apprend que le suspect s'appelle David James Roach, qu'il a 26 ans et qu'il est de nationalité canadienne (à Singapour, on ne protège pas l’identité des personnes impliquées dans des faits divers).


L'histoire ayant ému le pays, de nombreux articles nous en apprennent plus sur le criminel et son mode opératoire. On apprend ainsi qu'il est venu dans une boulangerie voisine juste après son larcin, pour commander un gâteau à la fraise et une bouteille d'eau pétillante italienne, la preuve en image avec une capture d'image de la camera de surveillance du magasin. En Thaïlande, les enquêteurs ont également trouvé un carnet de bord avec ses notes personnelles, comme ses astuces de braqueur : avoir des vêtements clairs, prendre un taxi, et se comporter normalement. Une sorte de recueil « le braquage pour les Nuls » qui ne devrait pas se vendre comme des petits pains vu le succès de sa première tentative. David aurait aussi indiqué sur une autre page « make money » en listant Singapour, Chiang Mai et Dubai. Nul ne sait s'il comptait là aussi s'attaquer à des banques, il semblerait que notre Arsène Lupin Canadien ne soit pas tombé sur la bonne pioche en choisissant Singapour pour se faire les dents, tabernacle !


A Singapour, le crime ne paye pas, et les braquages de banque ont rarement dérogé à la règle. Voici un récapitulatif des derniers braquages ayant eu lieu lors des 20 dernières années. Seul le premier de 2004 a été un succès, le braqueur utilisant une planche en bois pour bloquer la porte de l'agence, et un simple petit couteau pour obtenir un magot de $37,000. Depuis, les tentatives ont toutes échoué, notamment celle de la Maybank où le braqueur utilisa un pistolet en plastique et un chapeau d’explorateur. Mauvaise pioche, il prit 2 vraies balles dans le jarret, avant d’être plus tard condamné à 4 ans de prison et 9 coups de canne. Le suivant essaya la ruse digne de Looney Toons, se déguiser en femme malgré une pilosité visible, tout en prétendant posséder une bombe dans son sac vert. Perdu, il y avait cette fois-ci un agent de sécurité dans les parages. L'avant-dernier n'est pas mal non plus, car celui-ci n'a pas été au bout de sa démarche. Alors qu'il comptait braquer une agence POSB (la banque postale locale) avec un pistolet à air comprimé, il fut pris de sueurs froides (cold feet en anglais dans le texte) et décida de se débarrasser de son arme au pied d'un HDB. Il fut cueilli par la police lorsqu'il essaya de venir les récupérer 2 jours plus tard, puis condamné à de la prison et des coups de canne pour possession d'arme illicite. Reste à savoir ce qu'il adviendra du dernier candidat, si toutefois il est extradé sur Singapour. La Thaïlande ne dispose pas d'accord d'extradition avec Singapour, mais elle en a un avec le Canada. Cela dit, les relations diplomatiques entre Singapour et la Thaïlande sont assez bonnes pour que l'extradition se fasse dans les jours à venir, affaire à suivre. Si le suspect venait à être déclaré coupable, il encourrait jusqu’à 10 ans de prison et 6 coups de canne.


Que retenir de cette histoire ? Que la BFM-isation du traitement de l’information n'aide en rien dans ce genre d'affaire. Il convient de laisser la police faire son travail, sans faire du direct pour ne rien dire. Cela nuit à l’enquête en donnant des informations aux personnes mal intentionnées, et cela contribue à créer un climat anxiogène inutile. Qu'il faut être bien naïf pour débarquer ici avec l'intention de braquer une banque. Entre les caméras de surveillance, les moyens technologiques à disposition, et le peu d'options pour quitter le pays, seul un fou peut se lancer dans une telle entreprise. Que la police singapourienne est plutôt efficace, et que son entente avec celle de Thaïlande a permis de mettre le grappin sur ce pinpin en moins de 4 jours. Que la vidéosurveillance peut être efficace, surtout lorsque l'on se donne les moyens. En moins de 2 jours, avec 100 personnes et 400 cameras, on peut retrouver un suspect dans une ville de 6.3 millions d'habitants +des milliers de touristes. Je signerais demain des 2 pieds pour avoir un tel dispositif en France, et au diable les questions de respect de la vie privée. Tant que l'on a rien à se reprocher, je ne vois pas en quoi la présence de CCTV est gênante.
Tout est bien qui finit bien... derrière les barreaux.


Pour finir en images, voici une vidéo de la SPF, montrant que c'est plus qu'un simple boulot d’être policier à Singapour. On notera l'influence des studios d'Hollywood sur le doublage.

*Ang Mo : mot hokkien signifiant « cheveux rouges », utilisé pour designer les blancs à Singapour, en Malaisie, et parfois en Indonésie.
**Australien : plus tard, on découvrira que David James est né à Sydney, en Australie, et qu'il a ensuite obtenu la nationalité canadienne.

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