vendredi 20 janvier 2017

La serrure électronique, ou comment j'ai failli dormir dehors


Si un jour on m'avait dit que je me retrouverai à la porte d'un appartement à cause de piles défaillantes, je pense que je n'aurais pas pris cela bien au sérieux. Et pourtant, c'est ce qui m'est arrivé hier soir, par une longue nuit de janvier que je ne suis pas près d'oublier. Que s'est-il passé à Belmond Green, pourquoi la porte de la maison est restée close, voici mon histoire.


Singapour, jeudi 19 janvier 2017. Une journée presque comme les autres se termine quand je rentre à mon domicile sur les coups de 23h. Une pluie lourde s'est abattue dans l’après-midi, apportant un vent de fraîcheur à l'habituel clément hiver singapourien. Miracle de la technologie, les portes d’accès de la résidence s'ouvrent à l'aide de cartes magnétiques en guise de sésame, au détriment de la traditionnelle clé en métal se faisant de plus en plus rare. Une réflexion que je me suis faite en découvrant la serrure électronique SHS-1321 Samsung pour la première fois. Au premier abord, on est surpris de ne plus utiliser de verrou conventionnel, puis on s'habitue au fait d'avoir les poches vides et de pouvoir tout de même rentrer chez soi. Une fois le digicode de 4 chiffres validé, une mélodieuse musique retentit, vous informant que l’accès vous est accordé - et ce, sans formule magique comme dans Ali Baba. Ce soir là, l’écran tactile ne répondait pas de la même façon et chaque chiffre que je sélectionnais l’était deux fois, comme si mes doigts bégayaient. Bien entendu, le code d’accès ne fut pas reconnu par le système et ce qui devait être une formalité devient un cauchemar. A force de répéter l’opération, l'interface tactile se brusqua, s'offusqua puis se bloqua. Une alarme s'enclencha pour accentuer la gène qui m'envahit à l’idée d’être enfermé dehors. Une ultime tentative me poussa à faire un constat sans appel : les piles ont rendu l’âme, il n'y a plus de signal, SHS-1321 ne répond plus.


Que faire ? Le système intelligent devait nous avertir en musique dans éventualité de piles défaillantes, mais rien de la sorte ne s’était produit jusque là. Nous avions brièvement discuté de ce cas de figure quand nous avions pris possession des lieus, et Sébastien nous avait dit qu'il était possible de recharger les piles depuis l’extérieur. 23h27, j'envoyai un mayday mayday mayday* sur le groupe Whatsapp que nous avions établi avec les locataires des lieux pour les informer de la situation. En parallèle, je vérifiai depuis mon téléphone la procédure pour accéder à la batterie depuis l’extérieur, et la réponse est claire : il me faudrait une pile 9 volts (9V). Si Thomas Fersen se demandait où trouver des fleurs un lundi soir après minuit**, il me fallait maintenant trouver une pile 9V un jeudi soir après 23h30.


Un rapide passage par le poste de garde de la résidence me permit de savoir que le 7Eleven (petit supermarché, appelé ici convenience store) de Balmoral Plaza était ouvert jusque tard dans la nuit. Sans plus de précision, je décidai de me mettre en route et d'informer par précaution quelques amis de ma situation. C'est à ce moment que la batterie de mon téléphone en profita pour elle aussi me faire défaut, me laissant soudainement sans moyen de communication au milieu de la nuit, dehors, et confirmant ainsi la célèbre loi de Murphy : anything that can go wrong, will go wrong, que l'on peut traduire par « tout ce qui est susceptible de mal tourner tournera nécessairement mal ». 23h45, après une courte marche j’arrivai devant la porte en verre complètement recouverte de gouttes d'eau à cause de la condensation. Il faisait proche des 20 degrés dans la supérette quand je sentis une lueur d'espoir m'envahir à la vue du mini-mur de piles se dressant à mes pieds. Joie de courte durée puisque malgré les 16 différentes références, les piles 9V manquaient à l'appel. C'eut été trop beau, et je me sentais soudainement des allures de grand Ang Mo avec un chat noir, pour rendre hommage à Pierre Richard. Je pris toutefois des piles AAA pour remplacer celles défaillantes de la serrure électronique et commençai à élaborer un plan B pour trouver ces maudites piles rectangulaires. Que faire, aller directement chez Mustafa ? Me rendre dans un supermarché ouvert 24h/24 ? J'entrepris de recharger mon téléphone par le biais de mon ordinateur, et par chance, je vis une prise murale accessible devant la terrasse d'une pizzeria du mall. J'avais sécurisé une place sur un canapé dans un autre quartier de la ville si mes recherches n'aboutissaient pas, et je décidai de tenter le coup dans une station service. Mon ami Saša que je venais d'informer, m'indiqua les coordonnées de l'une d'entre elles, située de l'autre côté de Bukit Timah road, juste en face d’où je me trouvais.


Plein d'espoir, je me mis en marche (big up Manu) et ne tarda pas à voir les lueurs d'une autre station service, elle aussi ouverte en permanence. Elle semblait plus grande que le 7Eleven que je venais de quitter et après quelques secondes de recherche furtive à travers les rayons, je vis enfin le graal : des piles 9 volts se cachaient à côté de paquets de cigarettes au comptoir. La chance semblait tourner, et après avoir réglé mes achats, je repris le chemin de l'appartement. 00h13, les chauve-souris volaient au dessus de ma tête, me rappelant au passage que je n’étais pas dans mon environnement naturel.


En arrivant devant la porte, l'ampoule du couloir s’était éteinte, mais je savais précisément ce que je devais faire, connecter cette précieuse pile sur la partie inférieure du verrou électronique et tenter ma chance. Après quelques secondes, rien ne s'afficha à l’écran, me laissant quelque peu perplexe. Puis, dans un éclair de lucidité, je tentai de réveiller cet écran capricieux. A peine l'avais-je effleuré que le bruit familier revint, j’étais sur la bonne voie. Je pus entrer les deux premiers chiffres pour débloquer l’écran, puis le code secret, sans doublon cette fois-ci, et valider.


Miracle, pendant que je tirai la chevillette, le verrou chut et la porte s'ouvrit devant moi, non sans une dernière frayeur tant le déverrouillage fut long. 00:25, j’étais enfin rentré, lorsque la douce musique m'avertissant de la faiblesse des piles retentit. Il était temps !


Heureusement pour moi, tout était à portée de marche de notre domicile temporaire. L'histoire se finit par un happy ending, avec seulement une quinzaine de dollars dépensés en piles, une bonne heure de perdue et surtout un sang-froid mis à l’épreuve sous une humidité tropicale. Bilan des courses, je compte bien me passer autant que faire se peut de ce type de porte d’entrée à verrou  électronique, car rien ne vaut une bonne clé dans une serrure. On se sent un peu ridicule quand on est bloqué du mauvais côté de la porte par de simples piles en fin de vie. Je tiens à remercier les supérettes et les stations services ouvertes 24h sur 24, sans qui j'aurais dû me rendre chez une âme charitable pour passer la nuit. En conclusion musicale, je vous propose une chanson de circonstance avec Ouvre-moi la porte de l'ami Gaston Ghrenassia, plus connu sous son nom de scène Enrico Macias (1980) que je découvre à l'occasion.


*Mayday : signal de détresse universel inventé en 1923 par Frederick Stanley Mockford, chef officier radio à l'aéroport de Croydon à Londres. Les autorités lui avaient demandé de trouver un terme signalant une détresse et qui soit facilement compris par tous les pilotes et le personnel au sol en cas d'urgence. L'utilisation du mot « help » n’étant pas possible, Mockford choisit une transcription anglophone phonétique de la prononciation de l'expression française « m'aider » car la plupart des vols à destination de Croydon provenaient à l'époque de l'aéroport du Bourget, en France. Le mot doit être répété 3 fois pour signifier ce signal.
**Où trouver des fleurs un lundi soir après minuit : 10ème chanson de l'album « Le jour du poisson » de Thomas Fersen (1997).

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire